La Somme est à jamais liée aux batailles cauchemardesques de la Première Guerre mondiale, mais c’est une région d’une beauté naturelle exceptionnelle. En atteignant la mer, la rivière s’élargit en un immense estuaire de 14 km et a une amplitude de marée de onze mètres, la deuxième plus grande de France après la Seine.
Ses vastes étendues de sable et de marais offrent un habitat unique aux oiseaux et à la vie marine, y compris une colonie d’environ 300 phoques assis sur ses bancs de sable.
Côté sud se trouve Saint-Valery-sur-Somme, des bateaux de pêche et de voile amarrés dans le port, une retraite artistique pour les écrivains du XVIIIe siècle comme Victor Hugo et Jules Verne.
Le Crotoy
Au nord se trouve Le Crotoy, maintenant une station balnéaire animée, mais autrefois une base pour les peintres impressionnistes comme Alfred Sisley et Georges Seurat, attirés par la qualité de la lumière.
Les deux villes sont reliées par un chemin de fer à voie étroite, le train à vapeur de la Baie-de-Somme , qui fait 15 km autour de l’estuaire, mais à marée basse, il est possible de traverser la baie à pied.
J’arrive au Crotoy à la marée haute et me rafraîchit depuis la plage étroite, dans le mélange d’eau douce et salée qu’est l’estuaire de la Somme. Bientôt la mer commence à reculer, exposant de grandes étendues de vasières, un jeu équitable pour les butineurs. Ils recherchent des moules et des palourdes, cachés dans le sable, mais aussi de la salicorne verte poussant à la surface. Je vois Saint-Valery-sur-Somme, à seulement trois kilomètres de l’autre côté de la baie et ça va être le point de départ de la traversée.
Je rencontre l’Arnaud, mon guide, et le reste du groupe à la gare du Crotoy et nous embarquons dans les voitures de la belle époque.
Nous avons la chance d’être tirés par une machine à vapeur et nous sifflons bientôt devant des ruisseaux bordés de saules, à travers des marais salés et d’eau douce, jusqu’à Noyelles-sur-Mer. Ici, nous rencontrons le train venant de l’autre côté et le moteur doit changer d’extrémité avant de continuer.
Saint-Valery
Il est environ une heure de Saint-Valery et notre petit groupe se rassemble au bord de la rivière pour un briefing.
C’est un groupe mixte avec de jeunes enfants, des personnes âgées et un grand braque de Weimar excitable qui, j’en suis convaincu, attirera son propriétaire dans les sables mouvants. Tout le monde porte des sandales ou des bottes en caoutchouc car nous avons été avertis que nous allons patauger jusqu’aux cuisses dans l’eau et la boue.
Le Crotoy a l’air trompeusement proche mais Arnaud explique qu’il n’est pas possible de marcher en ligne droite car les courants et les sables mouvants le rendent traître. C’est très déroutant car nous partons dans la direction opposée, mais doublons pour descendre dans un étroit canal d’eau.
La berge est glissante et Arnaud se glisse dans l’eau pour mesurer la force du courant. Nous attendons pendant qu’il patauge prudemment, trouvant la trajectoire la moins profonde, avant qu’il n’atteigne l’autre côté et nous donne le pouce en l’air.
Des reportages sur un groupe de cueilleurs de coques chinois qui ont péri dans les vasières de la baie de Morecambe il y a quelques années me viennent à l’esprit, mais en fait, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
Nous trottons tous en ligne, veillant à ne pas perdre pied sur le fond gluant, et sommes bientôt de retour sur une terre relativement sèche. La procession derrière moi me rappelle les représentations de Moïse quittant la mer Rouge et cela ressemble à un pèlerinage.
Une autre parabole biblique me vient à l’esprit alors que nous semblons ne pas faire de progrès dans ce désert boueux. En effet, après une heure nous sommes de retour en face de Saint-Valery, seulement séparés par un étroit chenal, dont on me dit qu’il est trop profond pour négocier. Arnaud explique que parce que la mer recouvre le paysage deux fois, un jour détruisant tous les repères, chaque traversée est différente.
Le soleil s’abaisse à l’horizon alors que nous nous rapprochons du Crotoy et la lumière tombe rapidement. Même dans les dernières centaines de mètres, nous ne sommes toujours pas capables d’aller en ligne droite mais nous sommes finalement sur la plage, en montant vers le port.
Cela fait quatre heures de marche et nous faisons un terrain délabré, ruisselant de boue et d’eau étouffante. Les convives, prenant leur exercice après le dîner, regardent notre joyeux groupe émergeant de la mer.
Étonnamment, nous n’avons eu aucune victime, même si les enfants n’ont pas pu résister à se jeter dans la boue.
Avant de partir, je pensais qu’il serait possible de marcher sans guide mais je sais maintenant que c’est de la folie. Bien sûr, les heures des traversées dépendent de la marée mais la fin de l’après-midi a l’avantage supplémentaire d’une lumière du soir glorieuse – et cette fois, il y a un magnifique coucher de soleil alors que je reviens sur la terre ferme.